Comprendre le comportement canin au-delà des clichés
Le concept de dominance chez le chien occupe une place centrale dans l’imaginaire collectif depuis plusieurs décennies. Souvent évoqué dans les discours populaires, les émissions télévisées ou encore les conseils d’éducation canine, il suggère que nos compagnons à quatre pattes chercheraient constamment à prendre le dessus sur leur entourage humain ou animal. Pourtant, la science moderne du comportement animal remet sérieusement en question la validité et la pertinence de cette idée reçue. Plutôt que de permettre de mieux comprendre nos chiens, la notion de dominance crée bien souvent des malentendus, voire des problèmes de comportement accentués par des méthodes inadaptées.
Origine du concept de dominance
L’idée que le chien chercherait à dominer son entourage provient principalement d’observations menées sur les loups en captivité au milieu du XXe siècle. Les chercheurs de l’époque, notamment Rudolf Schenkel dans les années 1940, constataient des conflits hiérarchiques au sein de groupes de loups forcés de cohabiter dans des espaces restreints, sans liens familiaux. Ce contexte artificiel a mené à la conclusion selon laquelle les loups — et par extension les chiens, descendants du loup — organiseraient leur vie autour d’une hiérarchie rigide, dominée par un « alpha ».
Ce modèle simpliste a ensuite été appliqué à l’éducation canine. On conseillait alors aux gardiennes et gardiens de chiens d’affirmer leur autorité, de ne jamais se laisser dépasser, et d’imposer des règles strictes pour « dominer le chien », sous peine de se voir dépossédés du contrôle du foyer.
Remise en question par la science moderne
Depuis les années 1990, les travaux sur le comportement des loups en liberté, notamment ceux du biologiste David Mech, ont révolutionné la compréhension des structures sociales canines. Il s’avère que les meutes naturelles sont, dans la grande majorité des cas, constituées de groupes familiaux : deux parents et leur progéniture. L’organisation n’est pas fondée sur la domination violente mais sur la coopération, le soin parental et la transmission des connaissances.
Chez le chien domestique, la dynamique est encore plus éloignée de cette vision hiérarchique. Les interactions sociales entre chiens, ou entre chiens et humains, s’articulent autour de la communication, de la gestion des émotions, des expériences passées et du contexte environnemental, bien plus que sur une quelconque lutte de pouvoir.
Pourquoi la dominance n’explique pas tout
Le mythe de la dominance conduit souvent à l’emploi de méthodes coercitives, fondées sur la punition ou l’intimidation. Or, ces pratiques peuvent générer de la peur, de la frustration, voire de l’agressivité chez le chien, qui n’a pas compris ce qu’on attend de lui. Les comportements indésirables résultent généralement d’un manque de compréhension mutuelle, d’un besoin non satisfait (dépense physique ou mentale, sécurité, interactions sociales), de stress ou de troubles émotionnels.
L’attribution systématique d’une intention de domination masque la réalité : la plupart des chiens cherchent simplement à répondre à leurs besoins fondamentaux et à s’adapter à l’environnement offert par les personnes responsables. Un chien vole de la nourriture non pour défier l’autorité, mais pour satisfaire une pulsion naturelle ; il aboie, détruit ou fugue parce qu’il est anxieux, s’ennuie ou qu’il n’a pas appris à gérer la solitude.
Communication et signaux sociaux chez le chien
Les chiens sont des animaux sociaux qui utilisent un vaste répertoire de signaux pour communiquer avec leurs pairs et avec les humains. La posture corporelle, les expressions faciales, la vocalisation, l’orientation du corps ou de la tête sont autant de moyens d’exprimer leurs intentions, leurs émotions ou leurs inconforts.
Comprendre ces codes est bien plus utile que d’essayer de « prendre le dessus ». L’éducation moderne préconise une approche basée sur la coopération, l’encouragement positif et la construction d’une relation de confiance. L’écoute des signaux envoyés par le chien, l’analyse du contexte et l’identification des causes profondes d’un comportement permettent d’apporter des réponses adaptées et respectueuses du bien-être animal.
Les risques des méthodes basées sur la dominance
Persister dans l’idée que le chien cherche à dominer aboutit bien souvent à des incompréhensions et à des tensions. Les techniques autoritaires, telles que la soumission forcée (« alpha roll »), les colliers à pointes, ou les sanctions physiques, sont non seulement inefficaces sur le long terme, mais peuvent aussi nuire gravement à la relation humain-chien. Des études démontrent que ces méthodes augmentent le risque d’agressivité, d’anxiété et de troubles du comportement.
À l’inverse, l’éducation positive, qui valorise les bons comportements, développe l’autonomie, la confiance et le plaisir d’apprendre, s’avère bien plus efficace et respectueuse du bien-être canin.
Vers une nouvelle relation humain-chien
Déconstruire le mythe de la dominance implique de repenser la relation entre humains et chiens. Plutôt que d’imposer une hiérarchie factice, il s’agit de créer un partenariat basé sur le respect mutuel, la communication et la compréhension des besoins de chacun. Un chien épanoui est un chien dont le gardien ou la gardienne sait reconnaître les signaux, proposer des activités adaptées, établir des repères stables et sécurisants.
De nombreux professionnels en comportement animal recommandent aujourd’hui de délaisser les explications simplistes et de s’appuyer sur les avancées scientifiques pour ajuster les méthodes éducatives. Il est essentiel d’observer chaque chien en tant qu’individu, avec son histoire, sa personnalité, ses forces et ses vulnérabilités.
Conclusion
La croyance en une prétendue volonté de domination du chien sur l’humain est une idée reçue qui ne tient pas face aux connaissances actuelles en éthologie. Elle conduit trop souvent à des pratiques éducatives inadaptées, voire dangereuses pour le bien-être animal. Favoriser une approche bienveillante, informée et individualisée permet de renforcer la complicité et l’équilibre au sein du foyer, tout en respectant la nature profondément sociale, souple et communicative de nos compagnons canins.
Ainsi, repenser notre vision du chien et de ses comportements, c’est aussi s’offrir la possibilité d’une relation plus harmonieuse, faite de respect et d’écoute, loin des clichés et des rapports de force d’un autre temps.
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